Décision sur le statut du lien Hypertext: un mal nécessaire?

Illustration actualité juridique

Par Julien Groslambert | Publié le 13 avril 2019
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La loi du 29 Juillet 1881 sur la Liberté de la Presse, votée sous la IIIème République, est le texte fondateur, comme son nom l’indique, sur la liberté de la presse, mais également sur la liberté d’expression en France. Si elle met en place l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, elle définit également les limites de la liberté d’expression et incrimine les comportements abusifs, au travers des délits d’injure et de diffamation. De façon étonnante, ce texte, écrit dans un contexte très particulier, en réaction aux événements de la Commune de Paris, d’une part, et l’apparition d’une presse à grand tirage, impactant une grande population, a très peu évolué au cours des années.

A l’heure où la diffusion de l’information est révolutionnée par Internet et les réseaux sociaux, un changement sûrement aussi important que l’apparition de la presse, on peut s’interroger sur la pertinence de ce texte d’un autre temps et la nécessité de faire évoluer face aux nouvelles pratiques de la diffusion de l’information. En effet, Internet présente de grandes différences par rapport à la presse traditionnelle.

Une différence de temporalité tout d’abord. Dans la presse traditionnelle, une information chasse l’autre, et les gros titres sont oubliés quelques mois plus tard. Le délai de 3 mois pour la diffamation y paraît donc adapté, le propos diffamant disparaissant après ce délai dans les articles du journal. Le même article, Internet ne l’oublie jamais et peut, au travers des moteurs de recherche, rester facilement accessible à n’importe quel internaute, voire faire son apparition en haut des résultats de recherche plusieurs mois après sa publication.

En second lieu, il y a une différence dans la responsabilité de la diffusion. Là où la responsabilité d’une publication dans un journal est limitée à un nombre très restreint de personnes (l’éditeur et l’auteur), la publication sur Internet implique généralement de nombreux acteurs qui relaient, au moyen de “post” et “tweet”, l’information de proche en proche, en partageant des liens hypertextes vers l’article initial.

Une jurisprudence du 2 novembre 2016 de la Cour de Cassation a pris une position fortement commentée. Rappelons brièvement les faits. Une personne avait publié en 2010 un article mettant en cause un fonctionnaire public. En 2011, un nouvel article est publié, accompagné d’un lien hypertexte vers l’article précédant. Le fonctionnaire a engagé une action en diffamation contre l’auteur de l’article de 2011. Le tribunal avait considéré que l’insertion du lien hypertexte constituait une nouvelle publication de l’article de 2010, et faisait donc courir un nouveau délai de prescription trimestriel. Le jugement, infirmé par la cour d’appel, a fait l’objet le 2 novembre 2016 d’une décision de la cour de Cassation qui a annulé l’arrêt de la Cour d’appel. Celle-ci considérant « que toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription ; que l’insertion, sur internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction ».

Il peut paraître surprenant que l’insertion d’un simple lien dans une page puisse être considéré comme une nouvelle publication. On peut même y voir, au regard des pratiques actuelles, une décision dangereuse pour la liberté sur Internet, tout personne relayant un article par un Tweet, sans même le lire, pourrait alors être poursuivi pour le contenu de l’article relayé. Cependant, cette décision nous semble “un mal nécessaire”. En effet, nous voyons la décision inverse lourde de conséquences car permettant à Internet d’être un lieu échappant au contrôle de la presse. Il suffirait alors de publier de façon confidentielle des propos diffamants et laisser passer le délai de prescription, pour ensuite, une fois le délai passé, utiliser la viralité des réseaux sociaux et la presse internet pour diffuser largement le propos diffamant sans aucun recours pour la victime (ou en tout cas, aucun recours sur le plan de la loi de 1881). Risque qui nous paraît majeur par rapport à celui d’être poursuivi pour avoir relayé une information diffamante, cela aurait, d’une part, la vertu de responsabiliser l’internaute ou le journaliste internet, et d’autre part, laisse un large espace pour se défendre, au travers de l’exception de bonne foi, ainsi qu’une marge d’appréciation du juge.

On sent bien qu’aucun des deux statuts n’est pleinement satisfaisant pour qualifier un lien hypertexte, mais entre deux maux, le bon sens nous dit qu’il faut choisir le moindre.

Auteur de l’article : Julien Groslambert

Consultant en sécurité de l'information au sein de la société Sealweb

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