La Commission européenne emboîte le pas de la France sur la féminisation des conseils d’administration.
La Commission européenne a adopté le 14 novembre 2012 une proposition de directive visant à imposer un meilleur équilibre hommes-femmes dans les Conseils d’administration et de surveillance des sociétés cotées européennes.
Il n’est cependant pas sûr que ce dispositif débouche sur une directive : si le parlement européen s’était prononcé par le passé en faveur de dispositions contraignantes en vue d’assurer l’objectif de parité, de nombreux Etats européens sont opposés à de telles mesures, ce qui pourrait bloquer l’adoption de la directive par le Conseil Européen. Ainsi, avant même que la proposition de directive ne soit officiellement présentée, neuf pays dont le Royaume-Uni et les Pays-Bas avaient écrit à la commissaire en charge du dossier, Vivianne Reding, pour lui rappeler leur opposition à toute disposition contraignante.
1. Objectif et champ d’application
La proposition de directive prévoit que les sociétés cotées sur un marché réglementé devront compter au moins 40% de personnes de chaque sexe parmi les membres non-dirigeants de leurs conseils d’administration ou de surveillance à l’horizon 2020 (2018 pour les sociétés publiques).
La proposition de directive laisse aux Etats membres le choix de proposer aux sociétés cotées sur un marché réglementé la possibilité de se satisfaire du seuil de 33,33%, seuil qui s’appliquerait alors à l’ensemble des membres des conseils d’administration, dirigeants compris.
2. Exceptions
Des exceptions sont prévues : tout d’abord, la directive, qui ne s’appliquerait qu’aux sociétés cotées sur un marché réglementé, ne concernerait pas les entreprises de petite taille (les PME au sens communautaire, soit celles qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas 43 millions d’euros).
Ensuite, la proposition de directive laisse aux Etats membres la possibilité de prévoir que les sociétés cotées qui emploient à plus de 90% des hommes ou des femmes ne seront pas soumises au respect des seuils précités. Cette dérogation ne devrait cependant concerner qu’un nombre marginal de sociétés, compte tenu de la rigueur de ce critère. A titre d’exemple, la société Technip, dans un secteur réputé comme très masculin (énergie) employait ainsi « seulement » 75% d’hommes en 2010 et ne serait donc pas éligible.
La Commission européenne estime que 500 sociétés environ seraient concernées en France par le dispositif.
3. Obligations quant aux recrutements de nouveaux administrateurs
La proposition de directive innove en ce qu’elle prévoit, qu’à compétence égale, une priorité doit-être accordée au candidat d’un sexe sous-représenté. Au cas où une telle personne ne serait pas recrutée, il incomberait à la société de prouver que le choix était motivé sur la base « d’une appréciation objective qui tient compte de tous les critères relatifs à la personne des candidats ».
Par ailleurs, le recrutement d’administrateurs ou de membres du Conseil de surveillance devra se faire « à l’aune de critères préétablis, clairs, univoques et formulés en termes neutres ».
4. Sanctions
Les sanctions sont laissées à la libre appréciation des Etats, pouvant consister soit en amendes administratives, soit en nullité ou en annulation de la nomination des administrateurs.
Cette question a d’ailleurs donné lieu à une vigoureuse passe d’armes entre les commissaires européennes Viviane Reding et Nelly Kroes, dont le pays, les Pays-Bas, est opposé à toute mesure contraignante. Ainsi, lors de l’annonce de la proposition, Nelly Kroes affirmait que la proposition de directive n’en comportait pas, alors que Viviane Reding soutenait l’inverse.
En l’état actuel de la rédaction du texte, il n’en reste pas moins vrai que les sanctions à définir par les Etats membres « doivent être effectives, proportionnées et dissuasives », ce qui indique clairement un caractère contraignant, mais à terme seulement et à la libre disposition des Etats.
Compte tenu des débats en cours, il est fort possible que ce caractère contraignant soit finalement abandonné.
5. Situation en France
La proposition de directive laisse le choix aux Etats membres d’adopter ou de maintenir les dispositions plus favorables garantissant une représentation plus équilibrée, « à condition que ces dispositions ne créent pas de discrimination injustifiée ni n’entravent le bon fonctionnement du marché intérieur ».
Cette disposition pourrait concerner la France, qui, depuis la loi « Copé-Zimmermann » du 27 janvier 2011, prévoit un système plus strict que celui proposé par la commission.
En effet, on peut remarquer d’une part que la date d’effet du dispositif français est plus proche (courant 2017) que celle prévue par la proposition de directive (1er janvier 2020 et 2018 pour les sociétés publiques). D’autre part, des dates intermédiaires sont également prévues en France, ce qui n’est pas le cas du projet européen : ainsi, depuis janvier 2011, est entrée en vigueur une exigence de parité minimale imposant de nommer à la plus prochaine assemblée générale au moins un homme ou une femme au Conseil d’administration ou de surveillance si ce dernier en est dépourvu. De même, le respect d’un seuil intermédiaire de 20% est prévu courant 2014.
Le système français est plus strict également en ce qu’il concerne non seulement toutes les sociétés cotées sur un marché réglementé, mais aussi les entreprises de grande taille (employant plus de 500 salariés permanents et réalisant au moins 50 millions d’euros net de chiffre d’affaires ou présentant un total de bilan supérieur à cette somme). Néanmoins, la date d’application de ce dispositif est fixée concrètement à 2020.
Enfin, le seuil de 40% concerne en France non seulement les administrateurs non-exécutifs mais également les dirigeants (soit les Directeurs Généraux et Directeurs Généraux Délégués, qui siègent souvent au sein du Conseil d’administration) : le seuil correspondant dans le système européen est d’ailleurs de seulement 33,33%. Ainsi, dans une société ayant un Directeur Général et un Directeur Général Délégué, tous deux hommes et membres d’un Conseil d’administration de neuf personnes, le dispositif français requiert la nomination de quatre femmes là où celui européen n’en imposerait que trois quel que soit le seuil retenu (40% des administrateurs non dirigeants ou 33,33% des administrateurs).
Jean-Pierre GITENAY et Hugues TESTU – Avocats du département Corporate, Fusions-Acquisitions du cabinet LAMY LEXEL
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